Entrevue avec Michael Behlen, fondateur de PRYME Editions

PRYME Editions a lancé une campagne Kickstarter afin de publier leur premier Annual Photography Journal consacré à la photographie instantanée. Nous avons discuté de ce nouveau projet avec Michael Behlen l'éditeur de PRYME Editions.

Bonjour Michael ! Peux-tu te présenter à la Communauté Lomography et nous parler de ton parcours ?

Durant les quatre premières années de ma carrière dans la photographie, je travaillais en numérique. J'ai commencé par photographier des groupes de la scène musicale locale puis j'ai créé une petite entreprise pour faire des portraits et des photos de mariage. Après avoir travaillé pour ce type de clients, j'ai eu l'impression qu'il me manquait quelque chose dans ma pratique de la photographie et dans mon mode de vie. Fin 2010, j'ai quitté le monde du numérique d'une manière radicale. En quelques semaines, j'ai vendu mes boîtiers, mes objectifs et mes équipements d'éclairage. J'en avais marre de perdre un temps fou derrière mon ordinateur pour retoucher mes photos. Je passais déjà 8 heures de mon temps face à un écran à mon travail et je ne voulais plus l'utiliser le soir en rentrant. J'ai été très inspiré par la série Passport to Trespass de Mikael Kennedy et j'ai fais l'achat de mon premier SX-70 sur eBay.

À cette époque, Impossible Project venait de lancer la version bêta de leur film Polaroid alors j'en ai acheté dans l'espoir de trouver un nouveau moyen de créer sans passer du temps face à un écran. J'ai donc expérimenté pour la première fois avec mon vieux SX-70 qui ne fonctionnait qu'à moitié. Les photographies que j'ai prises ce jour n'étaient pas parfaites mais elles étaient tout de même convenables. Cependant, les moments que j'ai capturés ce jour sont des souvenirs que j'affectionne tout particulièrement. Pas seulement parce que j'avais photographié mes amis proches mais également parce qu’un magnifique outil analogique avait repris vie en même temps que mon esprit créatif. J'avais l'impression d'avoir enfin trouver une véritable manière de m'exprimer sans m’embarrasser d'un ordinateur pour obtenir une image. Il y avait quelque chose de magique et de motivant dans le fait de pouvoir créer de manière plus concrète. Ce fut le début de mon addiction pour la photographie instantanée.

Photo par Matt Smith

Quelle est l'histoire de PRYME Editions?

Avant PRYME Editions, y a d'abord eu PRYME Magazine fondé en 2014. L'idée m'est venue un jour où je passais du temps dans mon jardin et que je buvais des bières avec mon ami Franklin Lopez, qui est aussi photographe. Il se plaignait du fait que les photographes qui travaillaient en instantané n'avaient pas assez de visibilité. Après seulement trente minutes de conversation, PRYME Magazine était né. J'ai passé les six mois suivants à contacter des artistes qui utilisaient l'instantané pour leur demander de prendre part à ce projet fou. J'ai été très surpris car ils m'ont tous dit oui ! Six mois plus tard, en octobre 2014, j'ai publié la premier numéro de PRYME Magazine : Instant Revolution ("Révolution instantanée"). Pendant cette courte période, j'ai appris seul à développer un site web, Adobe InDesign et le journalisme.

Nous avons ensuite publié 5 numéros de PRYME Magazine et présenté plus de 75 artistes dans le magazine et sur notre blog en l'espace de 18 mois. Nous avons rencontré un nombre incroyable de photographes argentiques et de revendeurs qui soutenaient notre projet bien plus que je ne l'aurais jamais imaginé. Cependant, tout a pris fin très rapidement fin novembre 2015 alors que nous manquions d'argent. Bien que nous n'avions pas envisager le magazine comme une pure source de revenus, nous étions dans une situation difficile et nous avons décidé de mettre la clé sous la porte. Nous avons arrêté la production des magazines et mis en pause le site internet.

Ce fut la fin de PRYME Magazine mais nos fans, nos amis et notre famille nous ont exprimé tout leur soutien. Ils étaient très déçus de la disparition d'un média dédié à la photographie instantanée. Nous avons ainsi décidé de relancer PRYME Editions en Juillet 2016. Au lieu de présenter des centaines d'images de multiples artistes, nous nous sommes dit que nous pourrions mettre à profit les compétences acquises durant ces trois dernières années pour promouvoir le travail d'un seul artiste à la fois. L'idée était de publier une édition spéciale limitée pour chacun des artistes sélectionnés par nos soins. L'année dernière, nous avons travaillé avec trois différents artistes pour produire leurs livres et leurs expositions. Les trois projets ont connus un véritable succès. Et nous sommes actuellement entrain de travailler sur un livre afin de le publier début 2018.

Photo par Daniel Stein

Tu as lancé une campagne Kickstarter pour publier un journal annuel de la photographie instantanée, comment as-tu eu l'idée de ce projet ?

En vue de l'enthousiasme pour nos trois derniers livres photos, nous avions envie de produire quelque chose dans l'esprit du PRYME Magazine. Je souhaitais créer un contenu de qualité en optant pour les bons matériaux et designs et faire quelque chose de différent du magazine. Tout ce qui manquait était un moyen de financer ce projet. Après avoir vu le succès des campagnes de financement participatif de She Shoots Film et de Optiko Journal, nous avons tenté le coup. Aussi rapidement que nous avions créé PRYME Magazine et PRYME Editions, nous avons lancé notre campagne Kickstarter pour financer la publication du Instant Film Annual Journal. Je suis très fier car à la date du 12 juillet 2017, nous venons d'atteindre 102% du financement de notre objectif de 6500 $. Il nous reste désormais 12 jours avant la fin de la campagne et nous espérons atteindre les 10,000$ afin que cet Annual Journal finisse dans le plus de mains possibles.

Photo par Bastian Kalous

Des photographes avec des styles différents t'ont déjà envoyé leurs photos. Peux-tu nous parler de ton processus de sélection des images reçues ?

Ce qui est à la fois génial et difficile dans le fait de devoir sélectionner des artistes pour ses propres publications et son propre blog, c'est de pouvoir choisir les photographies qui nous parlent le plus. D'un point de vue positif, on devient très passionné et engagé vis-à-vis du travail que l'on souhaite promouvoir. D'un point de vue négatif, il y a aussi l'exigence et le goût des lecteurs à prendre en compte. L'art est très subjectif et c'est difficile de convaincre l'ensemble de son lectorat.
Ce qui est aussi génial dans la communauté de la photographie instantanée, c'est que c'est une très petite communauté. Une grande majorité d'entre nous se connait. C'est un point très important dans mon processus de sélection puisque parfois des personnes me contactent pour me suggérer un autre artiste. Il y a vraiment une volonté d'entente et de partage fantastique.
Pour répondre plus directement à la question, je dirais que nous faisons notre sélection selon nos coups de cœur. Nous ne savons pas ce que nous cherchons jusqu'à ce que nous trouvions quelque chose qui nous séduit. Le monde de la photographie instantanée est si varié qu'il est très facile de travailler avec un grand nombre d'artistes différents. Nous cherchons à mettre en avant et publier le travail d'artistes qui s'impliquent de tout leur cœur pour faire vivre l'instantané. Nous partageons cette passion et cette addiction du medium avec eux, nous nous reconnaissons dans leurs œuvres.

Photo par Thomas Zamolo

Tu es passionné par la photographie instantanée, parles-nous de ta fascination pour ce medium.

J'adore cette citation dont je ne connais malheureusement pas l'auteur : "Si tu veux connaître ce que les gens ont peur de perdre, regarde leurs photographies". Je trouve cet énoncé très révélateur. Je me retrouve vraiment dans l'idée d'un homme qui cherche à trouver ce qui s'est perdu dans la vie contemporaine. Cette phrase me renvoie à l'idée que j'ai perdue ma liberté en prenant de trop nombreuses décisions rationnelles. Ces décisions ont profité à ma vie sur le long terme mais sur le moment, cela me déprime et je me dis que je me suis enfermé entre quatre murs que j'ai moi-même construis. J'essaie de fuir ces sentiments d'enfermement en cherchant des endroits particuliers dans la nature qui me permettent de me sentir vivant et libre avec mon appareil. Dans cet esprit, j'adorerais dire que je crée des images dans un but spécifique mais cela serait mentir. Je ne propose rien d'ésotérique et de mystique dans mes photographies. Ce que je montre ce sont des histoires de 1/60e de secondes qui offrent au spectateur un aperçu d'un rare moment d'immobilité dans mon esprit en constante agitation. La pratique de la photographie est mon moyen de méditer et de devenir quelqu'un avec ma machine qui me permet de faire des choix : mon appareil Polaroid.

Photo par Brian Henry

Ces derniers temps, on peut observer une certain regain d'intérêt pour l'édition et l'imprimé. De nombreuses maisons d'édition sont créées ou des artistes ont recourt à l'auto-édition. En tant qu'éditeur, est-ce que tu es d'accord avec cette idée ? As-tu l'impression que le papier est à la mode en ce moment ?

Tout ce que je peux dire, c'est plus nous serons, meilleur ce sera ! Chaque éditeur ou artiste qui publie un ouvrage offre à son public quelque chose de tangible à tenir entre ses mains, à chérir et à collectionner. À cette époque du tout numérique, je suis persuadé que les photographies et surtout les photographies instantanées, devraient être tenues entre nos mains comme les originaux.
Je médite souvent sur l'évolution du monde alors que la technologie ne cesse de se développer. Est-ce qu'il y aura un progrès tel que les interactions humaines ne seront plus nécessaires et que tout se passera sur les écrans ? Mon hypothèse est que pour chaque génération la technologie déconnectera un peu plus les personnes mais il y aura toujours une génération plus jeune qui sera nostalgique et qui tentera de garder la main pour faire revivre les anciennes manières d’interagir. Notre génération, par exemple, s'accroche au medium papier. Peut-être que les générations à venir s'attacheront aux appareils alors que la photographie sera entrain d'évoluer technologiquement avec les Google Glass par exemple. Si les générations actuelles ne cessent le combat et luttent avec assez de passion, nous ne tomberons peut-être pas dans un monde du pur numérique et technologique.

Photo par Herr Merzi

Par qui ou par quoi es-tu inspiré ? Qui sont tes photographes préférés ?

Depuis ma première expérience de l'instantané avec les films Impossible en 2010, j'ai toujours pris mon SX-70 avec moi dans des randonnées et promenades. Les heures que je passe dans la nature m'inspirent et m'apporte l'équilibre dans ma vie. Pour moi l'équilibre est important car on se retrouve soit dans la vie soit dans ses photographies. Pour moi c'est dans la photographie, je compose des images symétriques car cela m'apporte calme et équilibre dans ma vie. Cela ne signifie pas que je shoote des paysages ou des scènes parfaitement rectilignes mais ça me convient car la vie n'est pas non plus une ligne droite. J'adore le fait que le médium soit imprévisible. J'ai une véritable addiction pour ces images qui se développent sous nos yeux. C'est important de photographier de s'impliquer dans ses images et trouver l'inspiration dans ses propres imperfections. Une véritable manière de se perdre mentalement et dans le monde qui nous entoure.

Mes photographes favoris sont également des personnes dont je vais présenter dans le PRYME Editions Annual Journal. Parmi eux : Mikael Kennedy, Bastian Kalous, Matt Smith, Brian Henry, Thomas Zamolo et Herr Merzi. Chacun de ces artistes a un style unique et utilise le film instantané pour développer sa pratique artistique. Ces individus vivent sur le moment et le montrent à travers leurs œuvres respectives.

Photo par Michael Kirchoff

Des livres à nous recommander ?

Si vous n'avez jamais ouvert un magazine de Mikael Kennedy, je vous dirais de le faire urgemment. C'est l'artiste qui m'a donné envie de faire l'acquisition d'un appareil Polaroid. Il doit peut-être être encore possible de trouver une copie de son livre Passport to Trespass sur eBay ou sur des sites de collectionneurs, cet ouvrage en vaut vraiment la peine.

Sinon, je recommanderai aussi le tout dernier livre de Nils Karlson, Eyes Like Slumber, ce n'est pas un livre d'instantané cette fois mais c'est de l'argentique. Il vient tout juste de sortir et c'est le meilleur livre que j'ai eu entre les mains cette année. Je le recommande vivement à tous les fans de photographies argentiques.

Et enfin pour un roman avec des mots, je vous conseillerai The Light of Other Days de Arthur C. Clarke.

Photo par Ina Echternach

Pour contribuer au projet de Michael, rendez-vous sur la page Kickstarter de PRYME Editions.

écrit par florinegarcin le 2017-07-14 dans #news #Gens #photographie-instantanee #pryme-editions #michael-behlen

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